ANNE FONTAINE
Rencontre avec Yohann Quëland de Saint-Pern
Du battant des lames au sommet des montagnes
© Yohann Quëland de Saint-Pern
© Crédit photo Anne Fontaine
2020
Du battant des lames au sommet des montagnes
Le prélèvement : matière brute et sauvage.
Le prélèvement relève de l’unicité, de la singularité, de l’instant fragile et éphémère. Chaque interprétation que fait l’homme sur sa vie, met à distance les autres, comme un livre dont nous n’avons pas toujours les codes.
Là où l’interprétation est délicate mais sincère, le prélèvement lui génère un « bien commun » immédiat.
Dans le travail de Yohann, il y a cette immédiateté de la matière. Ce qui est posé devant nous, ce qui est projeté sur les murs, les lignes sur le papier, sont autant de biais par lesquels il fait jaillir l’objet lui même, la ligne pour la ligne, la matière pour la matière et avec un agencement particulier, une phrase nouvelle apparaît.
« Du battant des lames au sommet des montagnes » porte la voix de notre paysage naturel comme celle de nos candidats en campagne électorale(1). Un parcours sonore qui relate le relief de l’île, le vinyle est une carte biophonique qui nous amène a entendre ces ambiances depuis le littoral vers le cœur primaire insulaire.
Ce paysage sonore regroupe une infinité de corps qui interagissent et s’expriment dans une fréquence qui leur sont propres comme nous l’explique si bien Bernie Krause, dans « Le grand orchestre des animaux »(2).
Les paysages sonores se transforment avec une certaine rapidité. Il y a une urgence à capter les espaces encore inhabités mais traversés par l’humain, où la nature sauvage survit à l’activité humaine.
A l’heure où se popularise le terme de l’ère anthropocène, résonne un écho colossal rappelant le vide qu’installe fermement les carrières dans nos montagnes. Si le titre de ce dispositif sonore nous rappelle un quadrillage aléatoires de distribution de terres aux propriétaires fortunés du 19ème siècle, il est d’autant plus important qu’il nous rappelle la diversité de nos paysages.
Arpentons tant qu’il est encore temps allègrement les sentiers de nos montagnes, respirons notre fragilité au gré des notes sauvages qui résonnent doucement.
Haut-parleur : Une distance qui nous rapproche.
Ce n’est pas la première fois que Yohann QSP utilise les haut-parleurs.
Dans les « voiture-sono »(3) de 2016, il proposait une playlist de chansons « ségatisées » faisant l’éloge d’artistes locaux qui participeraient à une exposition collective. La voiture-sono, une forme humoristique et culturo-politique dénonçait alors l’absurdité de la mise en concurrence et de la compétition. «Chaque fois que l’on accepte la compétition, on accepte de mépriser quelqu’un, de le détruire, et on se détruit soit-même puisqu’un beau jour on perdra.» nous disait Albert Jacquard(4).
Yohann cherche les formes populaires et directes qui nous rappellent de près ou de loin une ambiance que l’on connait, que l’on reconnait. Des formes qui surgissent de notre quotidien et des gestes reliés à ces formes nous traversent l’esprit sans que nous le souhaitions préalablement. Il nous rappelle des actions dans nos vies qui nous échappent un peu, mélangeant dans des dispositifs des formes imposantes, lourdes, bruyantes que l’on aimerait peut-être taire, avec des courbes, des tons pastels, des plantes, des lumières. Les contradictions qui font notre fragilité et que nous portons tel Atlas porte la Terre.
L’exposition « Objets chorégraphiques » semble proposer une lecture vertigineuse d’une société à bout de souffle, qui tente de raccrocher les morceaux. Nous sommes en face d’une scène où s’est déroulé une suite d’évènements et sur ce plancher nous hésitons à nous y aventurer.
Sur-élevé le sol c’est donc une manière de nous rappeler où nous sommes et ce qui nous rattache à notre terre comme les liens qui peuvent nous rattacher aux terres les plus proches. Ainsi se dresse « War zone witz » une installation inspirée de faits réels qui ont eu lieu à Johannesburg. Celle-ci fait penser à une parcelle d’un champ de bataille urbain rehaussé par des cagettes en plastique qui apportent le fond du conflit : l’économie.
Nous voilà transportés dans le cœur d’une recherche interminable à propos de territoire sur lequel s’annoncent des combats silencieux et sournois.
Anne Fontaine
(1)R. Murray Schafer, The Tuning of the World (The Soundscape), Knopf, 1977, 304 p.
(2)Bernie Krause « The Great Animal Orchestra: Finding the Origins of Music in the World's Wild Places», 2012.
(3)Les voitures-sono pour les campagnes électorales sont particulièrement utilisées à La Réunion.
(4)Propos retenus d’un entretien dans l’émission « Faut pas rêver » / FR3 du 15/04/1994 / Archives de l’INA.
"Le travail de Yohann Quëland de Saint-Pern interroge l’objet, le corps et le discours comme l’espace public, et les rapports de pouvoirs inscrits en leurs formes. Constructions ordonnancées et compositions normées relèvent d’autant d’archétypes envisagés comme des vecteurs de vitesse économique, de production ou de reproduction, de circulation des peuples et des biens et d’injonction à l’adaptation, agissant sur l’imaginaire. Énoncés, archives, images ou objets protocolaires circulent d’une œuvre à l’autre dans des productions chaque fois « augmentables », et font écho aux histoires et réalités politiques, économiques et sociales des territoires en proie au post ou néocolonialisme. Les œuvres qui découlent des recherches de l’artiste « mettent en exergue des forces en présence » et font ainsi basculer les charges invisibles qu’elles contiennent. Pour Yohann Quëland de Saint-Pern, créer revient alors à « fabriquer des outils en mesure d’ouvrir des perspectives et façonner son territoire comme champ de nouveaux possibles »."
Leïla Quillacq, extrait de texte et entretien avec l’artiste, pour documents d’artistes La Réunion